MUSICALES (TRADITIONS) - Fonds musical européen

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MUSICALES (TRADITIONS) - Fonds musical européen

Les vicissitudes historiques, les transformations socio-économiques, la pression continue et croissante des cultures dominantes et, à notre époque, le conditionnement exercé par la «sous-culture» des mass media n’ont pas détruit les nombreuses traditions musicales orales des couches populaires européennes mais les ont assurément modifiées. Sous le vernis d’une culture de masse que les lois du marché culturel tendent à conformer aux modèles internationaux proposés par les plus importants centres de production, comme les États-Unis, des manifestations musicales traditionnelles d’inspiration locale et très vivantes se profilent encore aujourd’hui. En effet, depuis quelques décennies, apparaissent des phénomènes de renouveau issus des nombreux mouvements autonomistes qui surgissent dans différents pays européens, ou d’un processus plus général de recherche d’identité qui touche des couches beaucoup plus importantes de la population européenne. Avec ses manifestations à caractère plus ou moins commercial ou authentique le «folk revival» s’est situé dans cette dernière tendance. Cependant, l’orientation vers la reprise de quelques modes d’expression et de communication traditionnels se manifeste aussi dans les couches populaires de base.

Le long brassage humain, culturel et historique qu’a connu notre continent en a fait la richesse, la variété des musiques et la persistance de particularismes régionaux interdisent de parler de la musique populaire européenne, mais imposent de considérer le patrimoine musical oral européen comme un ensemble de musiques populaires. Certes, il y a des régions de passage, et d’autres où les influences se superposent, certaines plus conservatrices, et d’autres plus créatrices, des régions où la tradition est encore présente, authentique, et d’autres où le processus avancé, sinon définitif, de dégénérescence et de décomposition est en marche. La qualité initiale de la documentation récente ne permet pas de comparer valablement les conditions actuelles de conservation ou de désagrégation du tissu musical traditionnel. En effet, dans certains pays, le travail de recherche a été et est encore dynamique et approfondi, et la musique populaire peut encore s’exprimer avec une vitalité relativement forte alors qu’ailleurs l’intérêt pour la connaissance de la musique populaire ne semble pas aussi vif aujourd’hui, et l’héritage traditionnel est presque, sinon complètement, éteint.

Ainsi, en Allemagne, les activités de recherche actuelles insuffisantes ne nous garantissent pas une documentation valable; la France, de son côté, dans l’attention qu’elle porte à l’ethnomusicologie, semble continuer à privilégier les pays des autres continents plutôt que ses propres provinces. Quant à certains pays de l’Europe de l’Est, les matériaux disponibles ne sont pas homogènes en quantité et en qualité; l’ex-Union soviétique, de ce point de vue, constitue un cas limite. Les documents que nous connaissons attestent, en effet, la riche activité «folklorique» du peuple, avec des groupes plus ou moins artificiels, mais nous donnent très peu d’informations sur la situation des classes populaires, sur leur multiplicité ethnique et géographique.

1. Les grandes zones de la musique populaire européenne

La réalité complexe et interdépendante qui est celle des traditions musicales populaires européennes n’autorise pas une classification rigide des régions de style différent. Quelques grandes zones existent, qui présentent des traits communs et semblent se répartir en patrimoine dont nous pouvons souligner les différences patentes au niveau archaïque.

En premier lieu, nous pouvons délimiter une zone méditerranéenne qui comprend l’Espagne méridionale, l’Italie méridionale et la Sicile, frôle la Grèce qui n’a pas été influencée par le monde arabe, englobe l’Afrique du Nord, le Proche-Orient et jouxte les zones plus spécifiques des civilisations de l’Asie du Sud-Ouest.

Dans ses grandes lignes, cette zone présente un développement prédominant de la monodie, propension au mélisme (ornementation vocale en dehors des appuis syllabiques), une préférence pour les émissions vocales forcées et à gorge fermée, et se caractérise par une tradition assez solide de chant avec accompagnement et présence fréquente des instruments à cordes.

Une autre grande zone est constituée par l’Europe continentale et septentrionale et comprend, au sud, l’Espagne septentrionale, la France, l’Italie du Nord, la Slovénie; y sont englobés les pays d’Europe centrale et du Nord, et à l’est, la culture slave et magyare. La polyphonie y est très répandue. Le chant est surtout de type syllabique, l’émission principale utilise la voix naturelle et, très souvent, le chant n’est pas accompagné. Pourtant, à l’intérieur même de ces deux zones, les différences sont notoires d’une région à l’autre. On peut dire toutefois qu’une ballade du Piémont est certainement plus proche d’une ballade écossaise que d’une canzuna sicilienne, non seulement par les motifs narratifs et la structure du texte mais aussi par la musique et ses modes d’exécution.

L’Europe continentale et septentrionale peut se diviser en plusieurs régions de moindre importance: 1. la région germanique, comprenant la Grande-Bretagne, à l’exclusion des peuples gaéliques, les pays de langue allemande, la Scandinavie, à l’exclusion partielle de la tradition finlandaise et, naturellement, lapone; 2. la région occitane, comprenant la Catalogne, la France méridionale et la partie occidentale du Piémont, enfin la région française comprenant la France du Nord et le nord de la péninsule Ibérique, la Galice, la Navarre et la région cantabrique; 3. la région slave comprenant les peuples slaves de l’ex-U.R.S.S., la Pologne centrale et méridionale, la Slovaquie, les pays habités par les «Slaves méridionaux», l’ex-Yougoslavie centrale et méridionale, la Bulgarie et englobant, en réalité, également la Roumanie où, en dépit de la base linguistique latine, la balkanisation des styles musicaux est presque totale.

La Grèce constitue une réalité en partie autonome, fortement identifiable, malgré l’inévitable présence d’éléments acquis à la suite de longs rapports avec la culture turque. Pour comprendre le caractère de la musique populaire néo-hellénique, il ne faut pas oublier que les territoires grecs ont subi, même à un niveau populaire, non seulement l’influence de la grande culture byzantine mais que, après la chute de Byzance et jusqu’à l’avènement humiliant de la domination turque, les contacts avec l’Occident latin, et en particulier avec Venise, ont été très importants. La côte adriatique de l’ex-Yougoslavie présente des caractères de style qui nous font entrevoir une sorte de «continuité» de Venise à Corfou.

D’autres régions d’expression musicale d’une certaine importance ressortissent aux traditions magyare, finlandaise, basque et celtiques (Irlande, Écosse occidentale, Bretagne, avec quelques traces en Pays de Galles et, peut-être, en Cornouailles).

2. Les échelles et les modes de la musique populaire européenne

Les modèles d’échelle que nous trouvons dans la musique populaire européenne de tradition orale sont très nombreux. Les échelles de moins de cinq tons sont les plus fréquentes dans les comptines, alors que les échelles pentatoniques semblent, au contraire, caractériser le système musical de certaines zones; on les retrouve dans la musique populaire magyare mais aussi dans la musique populaire anglo-saxonne. Cependant, les échelles hexatoniques, et surtout heptatoniques, sont les plus fréquentes.

En général, les échelles traditionnelles européennes utilisent le système diatonique où se combinent secondes majeures et secondes mineures. Nous ne disposons pas de données statistiques dignes de foi, mais il semble que les intervalles les plus fréquemment utilisés dans les diverses musiques européennes de tradition orale soient les secondes majeures et les tierces mineures.

Le système modal est encore fortement utilisé dans les structures musicales européennes même si un vaste éventail de créations récentes traduit l’acceptation totale du système tonal, ou présente des traces modales dans un tissu musical à caractère tonal. Si les chants hérités ou créés par les couches populaires au cours de ces cent, cent cinquante dernières années relèvent entièrement du système tonal, surtout dans les pays d’Europe centrale et septentrionale, certaines particularités dues à la coexistence des systèmes tonal et modal se retrouvent dans des chants plus anciens que la sensibilité nouvelle a rajeunis. Nous ne disposons pas encore d’études adéquates sur le système modal dans la musique populaire européenne et, bien souvent, pour définir les nombreuses échelles modales existantes, les spécialistes continuent à utiliser la nomenclature gréco-ecclésiastique, avec l’orientation conceptuelle qu’elle implique. Face à des structures modales qui ne peuvent entrer dans le système des modes médiévaux, trop souvent, la solution de facilité consiste à parler de «modes mixtes». Mais très probablement, ces modes dits mixtes appartiennent à une tradition «autre», différente de celle du système modal ecclésiasticomédiéval.

Les bases modales nous apparaissent de façon plus évidente dans les musiques traditionnelles de la zone méditerranéenne et en Europe orientale. En réalité, toute la musique ancienne européenne de tradition orale se réfère à un système modal. Il est parfois difficile de percevoir immédiatement le caractère modal de certaines mélodies populaires d’Europe centrale, et même septentrionale, parce que, dans cette zone, les influences de la musique savante ont été effectivement plus profondes et se sont exercées depuis plus longtemps – nous pensons, par exemple, aux modifications que les pratiques du chant religieux des Églises réformées ont certainement introduites dans la musique populaire profane. Mais cette difficulté provient également de ce que la tendance dominante à procéder à des comparaisons, par rapport aux échelles modales ecclésiastiques, rend moins aisée la compréhension d’un système musical qui, sans être initialement tonal, a cependant constitué le terrain sur lequel s’est développé le système moderne majeur/mineur. L’Europe méditerranéenne est une terre où domine l’utilisation de la voix ; elle a vu se développer des styles vocaux très riches, complexes, intéressants, menant non seulement à la virtuosité mais aussi à l’exploration complète des possibilités de communication de la voix humaine. En revanche, l’Europe continentale est une terre à forte tradition instrumentale. C’est en Europe continentale qu’un système «primitif» européen, dont nous ignorons presque tout, a donné naissance à un système «moderne» se caractérisant par la progression vers le système majeur/mineur et, par conséquent, vers le système harmonique. Face au problème délicat posé par le système modal et le système tonal dans les musiques européennes de tradition populaire, il est utile de rappeler une fois encore les paroles du musicologue Curt Sachs: «... une classification correcte n’est possible que si nous réussissons à nous débarrasser de notre obsession du système modal pour nous rendre compte qu’une division du tétracorde et un pentacorde ne constituent pas le seul modèle musical au monde.»

3. La polyphonie vocale

L’identification des modèles de polyphonie vocale présents dans les différentes traditions musicales européennes constitue une donnée d’intérêt notoire pour mieux discerner les styles musicaux.

La pratique du chant à plusieurs voix dans la musique populaire se retrouve un peu partout en Europe mais, dans certaines régions, elle est une pratique rare ou exceptionnelle alors que, dans d’autres, elle constitue un élément caractéristique.

La pratique du chant à plusieurs voix s’est fortement développée dans le Caucase et revêt des formes qui ont laissé supposer – mais le débat reste ouvert – une origine caucasienne à l’organum médiéval et, par conséquent, à la polyphonie savante européenne. Son rôle est important dans la zone slave et, de façon tout à fait générale, dans toute l’Europe orientale, à l’exclusion des peuples finno-ougriens. La polyphonie est largement présente dans les territoires de langue allemande; il faudrait étudier, évidemment, l’influence possible de la pratique du chant d’église protestant, et le problème posé par l’absence de conséquences similaires en Grande-Bretagne. Elle est aussi fortement développée dans le nord de l’Italie. Dans les autres régions d’Europe, la polyphonie est entièrement inconnue et limitée à des occasions particulières.

Dans une Méditerranée aussi profondément monodique, la Corse et la Sardaigne font figure d’exceptions car la pratique polyphonique y a atteint des degrés de développement extraordinaires.

Chez les peuples européens, les modèles de pratique polyphonique sont variés. Les formes de déchant, probablement plus archaïques, apparaissent dans des régions assez éloignées les unes des autres, allant du Caucase à l’Adriatique, aussi bien dans la partie italienne que sur le littoral de l’ex-Yougoslavie, ce qui a permis d’imaginer l’existence d’une Europe antique au territoire plus étendu dont seuls quelques îlots subsisteraient. L’origine du modèle des chants à plusieurs voix, de type a trallallero , est probablement archaïque, car les productions musicales traditionnelles actuelles se retrouvent, avec leurs caractères spécifiques, dans des régions qui ne sont pas contiguës, comme la Sardaigne, l’Italie centrale, l’Italie du Nord et quelques régions slaves et caucasiennes.

La polyphonie ad accordo sicilienne est certainement ancienne elle aussi.

En revanche, la polyphonie en tierce est l’expression d’une sensibilité relativement moderne et se pratique à travers un territoire étendu qui va de l’Italie du Nord à l’Ukraine en passant par la Slovénie et les pays de langue allemande. On peut cependant formuler l’hypothèse que ce type de polyphonie s’est développé sur une pratique polyphonique antérieure à la fois populaire et savante. Des traces assez importantes de polyphonie avec intervalles de quarte, retrouvées dans la région des Alpes italiennes, tendraient à démontrer l’existence de structures antérieures à l’implantation massive de structures en tierce.

4. Les instruments de musique

La musique populaire européenne utilise des instruments fort nombreux, dont l’origine est diverse et qui attestent, par leur présence, la complexité de notre monde populaire et l’importance des dominations politiques et culturelles qu’il a connues. La civilisation industrielle a apporté sa contribution à la variété des instruments de musique de tradition orale européenne en introduisant les divers accordéons, principalement diatoniques, et l’harmonica. En général, ces instruments, entrés dans la pratique populaire à la fin du XIXe siècle, ont été utilisés pour remplacer d’autres instruments traditionnels d’un usage plus difficile et d’un entretien plus compliqué, les cornemuses, en premier lieu. Dans de nombreuses régions, ces instruments récents ont trouvé une application musicale originale et différente des pratiques savantes en cours.

Par ailleurs, dans la période qui a précédé la création de ces nouveaux instruments «industriels», la pratique musicale savante ordinaire a également enrichi les instruments de musique populaire. Ainsi, le violon appartient à la musique populaire européenne, et trouve des applications stylistiques propres à la tradition dans laquelle il s’est inséré. Dans toutes les couches populaires d’Europe, on joue du violon de la même façon. Rares sont aujourd’hui les violoneux qui tiennent leur instrument en position verticale, appuyé sur la cuisse comme dans la musique arabe; tous conservent la position «basse» semblable à celle qui était utilisée à l’époque baroque.

Certains instruments largement répandus dans la musique populaire européenne remontent à une époque archaïque. En premier lieu, les flûtes droites, aussi bien à conduit qu’à ouverture libre. Alors que la présence des premières, en roseau, en bois, en os, en métal est attestée dans pratiquement tous les pays d’Europe, et qu’elles sont encore utilisées dans de nombreuses régions, les autres se rencontrent aujourd’hui dans un territoire plus restreint situé entre la Hongrie et la Macédoine.

Des sources anciennes révèlent également l’existence de plusieurs types d’instruments de percussion. Le tambour est encore utilisé aujourd’hui en Espagne, en Italie centrale et méridionale et dans les Balkans; il conserve des significations magiques, même si celles-ci sont désormais perçues de façon indirecte. Les tambours à deux peaux ne sont probablement pas très anciens. Toutefois, leur présence est souvent liée à des cérémonies rituelles archaïques.

Le couple flûte-tambour, joué par un seul musicien, constitue un phénomène intéressant dans la pratique musicale instrumentale du folklore européen. Il se retrouve en Espagne, dans le sud de la France et, récemment encore, en Sardaigne.

Dans l’ethno-organologie européenne, la cornemuse constitue, avec les diverses cithares et la vielle, une survivance de la musique à bourdon. Un moment présentes dans tous les pays d’Europe, les cornemuses de types variés sont aujourd’hui encore jouées dans de multiples régions. Dans le sud de l’Italie et en Sicile, on trouve un modèle particulier de cornemuse dont tous les tuyaux sont insérés dans un bloc frontal. Les cornemuses italiennes comprennent toujours deux tuyaux pour la mélodie et un nombre de bourdons variant de un à trois, exceptionnellement quatre. Les cornemuses de Dalmatie, de Grèce, d’Afrique du Nord et du Proche-Orient possèdent également le double tuyau pour la mélodie mais sont dépourvues de bourdons indépendants. La petite cornemuse des Landes, réutilisée dans le folk revival , représente une émergence curieuse d’un type de cornemuse originaire de Méditerranée orientale. Des cornemuses à un seul tuyau pour le chant et plusieurs bourdons sont utilisées dans le nord du Portugal, en Galice et en Navarre (gaita ), en Bretagne (biniou ), en Irlande (union pipe ), en Écosse (Highland bagpipe ), dans le centre de la France (avec des modèles assez élaborés : chabreta, cabrette). On trouve des cornemuses de divers types en Pologne, dans la République tchèque, en Slovaquie, en Hongrie, dans l’ex-U.R.S.S., en Roumanie, en Bulgarie, en Grèce, alors que les pays Baltes, la Suède et la Catalogne connaissent des vestiges d’instruments en voie d’extinction. Au nord de l’Italie la cornemuse a disparu.

La vielle, un certain temps très utilisée, n’a pas non plus disparu, même si son utilisation est liée, notamment en France, non pas tant à une fonction précise qu’à l’intérêt suscité par le revival . En revanche, la vielle est encore présente en Hongrie, bien qu’elle ait connu une situation de crise.

Un des instruments populaires européens, unique en son genre, mérite une mention particulière: il s’agit du launeddas de la Sardaigne méridionale. C’est une clarinette triple, en roseau, avec deux tuyaux pourvus de trous et un tuyau sans trou, le bourdon, que l’on joue en utilisant la technique du souffle continu. En Sardaigne, on peut encore trouver des joueurs de cet instrument qui s’apparente aux clarinettes doubles dont la présence est si fortement attestée dans le passé méditerranéen.

5. Les formes et les genres

Il est très difficile de faire une synthèse sur les formes et les genres d’une tradition musicale aussi riche par sa diversité et aussi fortement «stratifiée» que la tradition musicale européenne. En effet, dans son ensemble, la musique européenne de tradition orale révèle la coexistence de formes dont certaines sont d’origine très ancienne et d’autres qui ont subi les influences déterminantes récentes ou modernes. Les formes les plus anciennes se retrouvent principalement dans les régions les plus conservatrices et présentent des caractères essentiellement modulaires qui rattachent cette partie du répertoire musical européen à celui d’autres continents. Cette forme modulaire concerne aussi bien les structures verbales que les structures musicales.

Vocales et instrumentales, les musiques utilisant ces formes sont attestées dans la région méditerranéenne et dans les régions orientales alors qu’elles figurent comme les derniers signes d’un passé presque entièrement révolu dans des pays où les processus de transformations socio-économiques sont depuis plus longtemps actifs et où, surtout, les conséquences de la révolution industrielle ont été plus profondes.

Distincte de la forme modulaire, la forme strophique semble plus récente. elle implique la versification des textes verbaux, sans rime dans le matériau plus ancien, et l’articulation thématique des textes musicaux. Il existe, naturellement, des formes intermédiaires dont la structure en strophes est imparfaite. Toutefois, on peut retenir qu’une très grande partie de la musique vocale européenne met en œuvre des groupes réguliers de vers. Les phrases musicales, quant à elles, tendent à s’organiser autour de thèmes explicites.

Cette base, cependant, si elle n’est pas archaïque, n’est pas pour autant moderne. En effet, la structure à strophes est déjà présente dans la culture européenne de l’époque médiévale. Elle s’est surtout développée dans les chants narratifs de diverses traditions qui se retrouvent dans toute l’Europe et constituent, dans leur quasi-totalité, un ensemble extraordinaire d’histoires chantées retraçant toute la vie populaire de notre continent jusqu’à nos jours. Il suffit de rappeler les recueils de ballades qui caractérisent une grande partie du territoire européen allant de la Catalogne à la Hongrie, de l’Italie du Nord à l’Écosse et à la Scandinavie, et qui se composent de textes d’inspiration magique, chevaleresque, familiale, historique, se prolongeant jusqu’aux créations contemporaines. Musicalement, la ballade européenne atteste la longue présence de ce genre dans la vie populaire en Europe, avec des musiques modales et pentatoniques et d’autres musiques qui s’inspirent franchement du XIXe siècle.

Les musiques vocales et instrumentales revêtent une importance particulière lorsqu’elles sont liées à des cérémonies rituelles. Dans ce cas, l’intérêt est non seulement musicologique mais aussi anthropologique car, souvent, il s’agit de cérémonies qui permettent une approche captivante, susceptible d’aboutir à l’identification de situations mythiques profondes. Le décalage est souvent très grand entre les cérémonies rituelles et leurs musiques d’accompagnement qui, dans de nombreux cas, ne sont pas anciennes. Même si cela est vrai, il n’en reste pas moins que de telles cérémonies sont souvent les plus propices à l’identification de modèles musicaux appartenant à un passé révolu.

La richesse, la complexité et le caractère si fortement empreint des influences multiples du patrimoine musical des cultures populaires de notre continent constituent, dans leurs contradictions même, un témoignage vivant de l’histoire si souvent bouleversée de nos pays.

Même si, de toute évidence, elle est de nos jours en crise, cette culture musicale, où se dessinent si bien les rapports existant entre classes populaires (exclues du pouvoir) et classes dirigeantes, est encore en mesure de manifester le rôle profond et essentiel en Europe de la pratique musicale intimement liée à la vie quotidienne.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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